LITTERall

Anthologie annuelle de littératures allemandes

N° 14 – 2003

Editorial

Volker Braun

Brigitte Burmeister

Kurt Drawert

Christoph Hein

Daniela Dahn

Christa Wolf

 

Jürgen Ritte

Alain Lance

Zsuzsanna Gahse

Claude Esteban

Roza Domascyna
Henri Deluy

auteurs & sources

Directeur de la publication: François Bary
Dépôt légal: 2ème trimestre 2003
ISSN 02097 – 69 - 19

 

Roza Domascyna

Dans le cadre du projet « Poésie des voisins : la France », j’ai eu en main l’original et la traduction littérale en allemand du poème Le boulanger est un homme en bleu d’Henri Deluy. J’ai décidé, en utilisant la traduction littérale de Hans Thill, d’adapter ce poème en allemand et aussi en sorabe.

« On ne peut imaginer/Qu’il ait récemment souffert/ La grande femme bien bâtie en robe bleue/ qui s’installait à côté de lui/ Sans faire de bruit a disparu ».

Que dit-on en allemand quand « on ne peut imaginer » ? A peine concevable, à peine croyable ? Quelle unité de temps représente « récemment » ? Il y a peu de temps, dernièrement, en dernier lieu, finalement, il y a peu, tout dernièrement, auparavant, juste maintenant, il y a un moment, il y a quelque temps, ces derniers temps, ces jours-ci, la veille, pas maintenant, depuis peu ? Et lorsqu’on accomplit quelque chose « sans faire de bruit », le fait-on sans bruit ? Quelqu’un a-t-il vraiment « disparu » ou n’est-il pas venu ?[ … ] S’ajoutent à cela des effets visuels qui se combinent à la musique de la langue « soupçonner – a souffert ». [ …]

Comment le texte continue-t-il ? D’après le traduction littérale : « On peut se demander ce que chaque jour/ fut son désir/ Son désir à lui/ Au côté d’une telle femme ». J’écris donc dans mon adaptation du poème en allemand « Il faudrait se demander ce qu’il désirait/ Jour après jour/ pour lui tout seul/ A côté d’une telle femme ». [ …]

Les trois derniers vers nous livrent le credo du poème. Je cite à nouveau la traduction littérale : « Mais le boulanger le dit/ Il aime qu’il gèle et dégèle en hiver/ Il aime cette femme ». L’alternance a donc bouleversé le boulanger, l’alternance entre dégeler et geler, celle qui garde le sang chaud. C’est cette alternance qu’il aime en elle et en lui-même. Et comme elle s’en est allée pour peu de temps (ainsi qu’on peut le déduire de l’allusion au gel et au dégel), il se consume d’autant plus de désir pour elle. Signe de ce désir brûlant : il a même renoncé à la couleur traditionnelle pour porter la couleur qu’elle préfère. « Il l’aime donc ». Et dans ce donc, il y a tant.

Traduction de Catherine Fabre-Renault

Retour au sommaire

 

Henri Deluy

Le boulanger est un homme en bleu

On pourrait ne pas soupçonner
Qu’il a souffert, récemment.
La grande femme solide, en robe bleue,
Qui se plaçait à côté de lui,
Sans faire de bruit, a disparu.
On peut se demander, chaque jour,
Quel pouvait bien être son désir,
A lui,
A l’endroit d’une telle femme.

Mais le boulanger le dit,
Il aime le gel et le dégel de l’hiver.
Il aime cette femme.

 

Der Bäcker ist ein Mann in Blau

Kaum zu glauben,
Dass er gelitten hat, neulich.
Die stattliche Frau, die stets blau trug
Und ihm vollkommen geräuschlos
Über die Schulter sah, ist ausgeblieben.
Zu fragen wäre, was denn tagtäglich
Er begehrte,
Nur für sich,
Neben solch einer Frau.

Der Bäcker sagt,
es muss Im Winter frieren und tauen, und frieren...
So liebt er sie.

Traduction de Roza Domascyna

Retour au sommaire

 

auteurs et sources

Volker Braun, né en 1939 à Dresde, vit à Berlin. Poète et auteur dramatique, a également publié un roman, plusieurs récits et des essais, en Allemagne aux éditions Suhrkamp et en France chez différents éditeurs, dont L'Inventaire, Ce qui arrive, traduit par Alain Lance ( à paraître avril 2003).

Brigitte Burmeister, née en 1940 à Poznan, vit à Berlin ; romans, récits, essais publiés aux éditions Klett-Cotta, Stuttgart. Trois fois Berlin et un épilogue est la contribution de l’auteur à un colloque organisé à la Bibliothèque nationale de France en avril 2002.

Daniela Dahn, née en 1949 à Berlin où elle vit. Journaliste, elle a réalisé de nombreux documentaires pour la télévision, publié reportages littéraires et essais, dont Wenn und aber. Anstiftungen zum Widerspruch, Rowohlt 2002. Nous sommes la démocratie est un extrait du discours prononcé à Dresde en février 2002, dans le cycle Nachdenken über Deutschland.

Roza Domascyna, née en Lusace en 1953, vit à Bautzen. Poète et traductrice, elle écrit en allemand et en sorabe, est publiée aux éditions Januspress, Berlin, et aux éditions Tannhäuser en Autriche, quelques traductions en français dans LITTERall

Kurt Drawert né en 1956 à Henningsdorf , vit à Darmstadt. Poète, dramaturge, essayiste. Rückseiten der Herrlichkeit, Texte und Kontexte, Suhrkamp, 2001. La poésie allemande contemporaine – Les années 90, anthologie, Seghers Goethe - Institut Inter Nationes, 2001. À paraître La dernière image, traduction de François Mathieu, Seghers, automne 2003. Irina est extrait de Steinzeit et de Nacht. Fabriken. A obtenu de nombreux prix littéraires.

Claude Esteban, né en 1935 à Paris, poète, essayiste et traducteur (Quevedo, Paz, Gongora et d'autres poètes hispanophones), il a dirigé la revue Argile. Actuellement Président de la Maison des écrivains, il a été l'un des principaux animateurs des ateliers de traduction collective de poésie à Royaumont. Parmi ses récentes publications, Morceaux de ciel, presque rien (Gallimard, 2001) et La dormition du comte d'Orgaz (Farrago, 2002)

Christoph Hein, né en 1944 en Silésie, vit à Berlin ; romans, récits, essais, pièces de théâtre publiés aux éditions Suhrkamp et aux éditions Métailié pour les traductions, dont en 2002, Dès le tout début, traduit par Nicole Bary. Démonologie et droit international a été publié en 2002 dans l’hebdomadaire Freitag.

Zsuzsanna Gahse, née en 1946 à Budapest, a fait ses études à Vienne et vit en Suisse. Essayiste, nouvelliste, publiée aux éditions Europäische Verlagsanstalt, elle traduit en allemand la littérature hongroise, entre autres Peter Esterhazy et Peter Nadas.

Alain Lance, né en 1939 près de Rouen. Vit à Paris. Poète et traducteur, il dirige actuellement la Maison des écrivains. A publié plusieurs livres de poèmes dont Temps criblé, éditions Obsidiane et Le temps qu'il fait, 2000, Prix Apollinaire 2001.

Jürgen Ritte, né en 1956, à Cologne, maître de conférences à l’Université de Paris III, membre du CA d'ATLAS. Traduit la littérature française en allemand, dernièrement Olivier Rolin, Méroé, Berlin-Verlag, Berlin 2002. Auteur, pour la revue MEET (n°5/2002), d'une petite anthologie de la poésie allemande contemporaine.

Christa Wolf, née en 1929 à Landsberg. Vit à Berlin. Auteur de nombreux romans et essais publiés en Allemagne aux éditions Luchterhand et en France chez Stock et chez Fayard, où paraît en avril 2003 le récit Le corps même, traduit par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein. De nombreux prix lui ont été décernés.

Retour au sommaire