Volker Braun

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Volker Braun est un poète au plein sens du mot allemand Dichter : l’impulsion poétique de son écriture ne se manifeste pas seulement dans sa poésie (Lyrik) mais aussi dans son œuvre dramatique, ses récits et romans et dans ses essais. Il écrit ses premiers textes à la fin des années cinquante et au début des années soixante, période pendant laquelle le jeune homme, après le baccalauréat, travaille d’abord dans une grande exploitation de lignite de la RDA avant d’étudier la philosophie à l’Université Karl Marx de Leipzig. Son recueil de poèmes Provokation für mich paraît en 1965. Helene Weigel le fait venir comme dramaturge au Berliner Ensemble où devait être représentée sa pièce Die Kipper. Mais le projet n’aboutit pas, Volker Braun quitte le Berliner Ensemble et n’y reviendra que bien des années plus tard. Il faut attendre 1972 pour que cette pièce soit jouée. Si d’autres œuvres dramatiques pourront être montées, souvent après bien des difficultés, certaines ne seront jamais jouées. Volker Braun se heurtera à des obstacles comparables lors de la publication de ses livres de poèmes et surtout pour son Hinze-Kunze-Roman, qui s’inspire de Jacques le fataliste de Diderot, achevé d’écrire en 1981, mais qui ne sera publié qu’en 1985 avant que la diffusion en soit suspendue peu après et pendant plusieurs années. Et la postface qu’il écrivit pour un recueil des lettres de Georg Büchner en 1977 ne sera publiée en RDA que dix ans plus tard (la Stasi la considérait comme « un appel ouvert à la contre-révolution » …).

Pourtant Volker Braun ne s’est jamais considéré comme un « dissident » et il est resté en RDA jusqu’à la disparition de cet État. Comme quelques autres écrivains majeurs de son pays, il élaborait dans ses textes un « contre-texte au monologue du pouvoir » et prépara ainsi le tournant décisif de l’automne 1989. Son œuvre se caractérise par une perception critique de la réalité sociale et par l’originalité d’une écriture en constant dialogue avec les grandes voix de la littérature allemande, de Hölderlin à Brecht. Il est né le 7 mai 1939 à Dresde. Il se souvient du bombardement qui ravagea la splendide capitale saxonne : la beauté et l’horreur firent son éducation esthétique, dit-il un jour. Et le jour de son sixième anniversaire, en mai 1945, il fit l’expérience de la libération et … de l’occupation. Ce sens de la contradiction est une donnée permanente chez lui, comme en témoigne notamment le célèbre poème qu’il écrivit pendant l’été 1990, peut avant l’unification :

La propriété

Je suis là encore et mon pays passe à l’Ouest
GUERRE AUX CHAUMIÈRES, PAIX AUX PALAIS !
Je l’ai mis à la porte comme on chasse un vaurien.
Il brade à tout venant ses parures austères.
L’été de la convoitise succède à l’hiver.
Et à mon texte entier on ne comprend plus rien.
On me dit d’aller voir là où le poivre pousse.
On m’arrache ce que je n’ai jamais possédé.
Ce que je n’ai vécu va toujours me manquer.
Comme un piège sur la route : l’espoir était à vif.
Ma propriété, la voici dans vos griffes.
Quand redirai-je à moi en voulant dire à tous ?

Comme l’a écrit Fritz Haug, à propos de Werktage 1977-1989, un journal de travail de Volker Braun, paru en 2009 aux éditions Suhrkamp : « ce chroniqueur de lui-même se fait chroniqueur de son époque parce qu’il en inscrit les conflits en lui comme en elle. »

La poétique de Volker Braun, qui repose sur la correspondance entre écriture et recherche, est donc alimentée par le feu de la contradiction. Empoignant le réel, elle refuse le réalisme plat. Elle s’est nourrie de l’utopie émancipatrice du projet socialiste mais aussi de sa débâcle. Et l’écrivain, dans sa poésie comme dans sa prose, maintient vis-à-vis de l’apparent triomphe de la finance, l’ironie critique qui était la sienne face à l’ancien pouvoir.

Au début de l’année 1998, Günter Grass, à qui le journal Libération avait demandé de nommer le livre qui comptait pour lui, avait choisi Lustgarten. Preußen, choix de poèmes de Volker Braun paru un an auparavant. Ce livre, écrit Grass, « m’accompagnera encore longtemps parce qu’il fait entendre une voix (avec un léger accent saxon) dont je veux écouter la poésie et parce que Volker Braun a tendu un miroir aux lémures de notre époque, au communisme qui a sombre, au capitalisme qui a survécu, pour leur montrer combien ils sont ridicules. »

De nombreux prix littéraires ont été attribués à Volker Braun, dont le prestigieux Prix Georg-Büchner en 2000.

Alain Lance

Bibliographie

Texte in zeitlicher Folge, 1989-93, Mitteldeutscher Verlag
Werktage, 2009, Auf die schönen Possen, 2005, Machwerk oder das Schichtbuch des Flick von Lauchhammer, 2007, Flickwerk, 2009 et Die hellen Haufen, 2011, tous éditions Suhrkamp
Der Kassensturz, 2010, Manfred Jendryschik

En traduction française:
Provocations pour moi et d’autres, 1971, éditions Pierre-Jean Oswald trad. Alain Lance
Le roman de Hinze et Kunze, éditions Métailié, Alain Lance et Renate Lance-Otterbein
Machwerk, 2012 (à paraître), éditions Métailié, trad. Jean-Paul Barbe
Les Quatre outilleurs, Phrase sans fond, Ce qu’on veut vraiment, trad. Alain Lance, L’Histoire inachevée et sa fin, trad. Vincent Jezewsk, Editions de l’Inventaire
Le massacre des illusions (poèmes, édition bilingue), éditions L’Oreille du loup, trad. Jean-Paul Barbe et Alain Lance

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