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Judith Hermann

De rencontres inattendues en amours improbables, de rendez-vous manqués en chassés-croisés malheureux, Judith Hermann peint dans ses nouvelles un clair- obscur où des couples se côtoient plus qu’ils ne se rencontrent, où des êtres évoluent comme des somnambules, mélancoliques, sans but, sans attaches, sans racines géographiques, sans ambitions professionnelles. Personnages à la fois étranges et familiers, ils essaient vainement de s’approprier un lieu, une place dans la vie, une relation, un amour, un autre, tout en se persuadant intimement qu’ils sont en proie à un rêve éveillé, en quête de l’impossible. Ils semblent souvent résignés, comme abandonnés à un fatum auquel ils se soumettent plutôt qu’ils ne le mettent en question. A maintes reprises, le lecteur aimerait intervenir dans leur histoire et leur crier: « ouvre les yeux, regarde autour de toi, le bonheur est à portée de main, saisis ta chance, dis quelque chose ». De ces situations, le lecteur en a l’expérience, car il a été un jour ou l’autre l’un de ces êtres mal assurés, errant dans la vie sans attaches, ni but, incapables d’ouvrir la bouche à bon escient, ou au contraire de se taire au moment opportun.

Paru en Allemagne à la fin des années 90, au moment où d’autres écrivains, jeunes et moins jeunes, faisaient également leurs débuts en littérature et la une des magazines, le premier livre de nouvelles de Judith Hermann (Sommerhaus, später, 1998) se distingua d’emblée des publications de la rentrée littéraire par la densité de l’écriture, la force de la voix et l’art de la narration de son auteur. Avec la sobriété et la précision d’un photographe, son écriture fixe dans des mots les sensations et les émotions, l’indifférence et l’émotivité, l’espoir et le désespoir. La tension qui habite chacun de ses récits nait de l’acuité du regard que pose le narrateur – l’auteur ? – sur ses personnages qui comme ces eaux apparemment lisses et calmes cachent dans leur profondeur des espaces secrets et mystérieux.

Les personnages entretiennent un rapport singulier avec le temps, un vide à combler, angoissant, menaçant, « un temps qu’il [va] falloir remplir, vaincre, neutraliser. » Dans le troisième volume de nouvelles, Alice, paru en 2009, le vide n’est plus celui du temps, mais de l’absence, de la perte causée par la mort. Il ne saurait plus être question de combler ce vide, il s’agit d’en prendre conscience car il touche quelque chose de profondément enfoui en chacun, quelque chose que chaque être porte en soi tout au long de sa vie, parfois sans le savoir.

Bien que les nouvelles de ce volume s’articulent autour du récit de la mort de cinq hommes, leur fil conducteur n’est pas la mort, mais la vie de celle, Alice, qui les a tous connus et ne peut rien faire d’autre que de prendre acte de leur disparition. La relation passée d’Alice avec ces hommes – ami, amant, parent proche ou lointain - prend tout son sens lorsque la perte radicale, le jamais plus, met la vie en abîme. Pas question de se révolter ou de se défendre, le constat d’impuissance et la résignation semblent la seule attitude possible. Mais ici aussi, comme dans les nouvelles précédentes, si la surface de l’eau reste calme et lisse, l’émotivité et la douleur produisent des remous dans les profondeurs de l’âme et des mots.

Judith Hermann utilise des moyens stylistiques très contrastés. Son écriture puise sa force dans son jeu constant – et savant – avec les rythmes et la musicalité des mots, avec les ruptures nées de l’alternance entre les répétitions et la sécheresse des phrases courtes et lapidaires qui donnent au texte relief et singularité.

Née en 1970 à Berlin, Judith Hermann a reçu de nombreux prix littéraires, parmi lesquels le Prix Kleist (2001) et le Prix Friedrich-Hölderlin (2009)
NB

Bibliographie

Sommerhaus, später, 1998, S. Fischer Verlag
Nichts als Gespenster, 2003 S. Fischer Verlag
Alice, 2009, S. Fischer Verlag

En traduction française:
Maison d’été, plus tard 2001, Albin Michel, trad. Dominique Autrand
Rien que des fantômes, 2003, Albin Michel, trad. Dominique Autrand
Alice, 2011 (à paraître) 2011 Albin Michel, trad. Dominique Autrand

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