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Le premier des textes qui composent Un jour dans l’année (1960-2000) a été écrit par Christa Wolf en avril 2003. Il s’intitule « Mon 27 septembre ». Il commence par la question « Comment la vie advient-elle ? » et il raconte l’histoire de ce livre.
En 1935, Maxime Gorki avait lancé l’idée d’« un jour dans l’année » : un jour, le même, raconté par des écrivains qui donneraient ainsi une description du monde à un instant t.
L’idée, abandonnée pour des raisons que j’ignore, est reprise par Isvestia : Décrivez de façon aussi précise que possible, propose le journal moscovite à des écrivains du monde entier, votre journée du mardi 27 septembre 1960.
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Au début des années quatre-vingt, j’avais rencontré à Paris Diane Kolnikoff, qui venait de créer avec son mari une petite maison d’édition, Alinéa, à Aix-en-Provence. Elle m’a proposé de m’y occuper du domaine allemand. Le premier titre de cette collection fut, en 1984, la traduction de Jean-Marie Argelès d’un ensemble de nouvelles de Franz Fühmann : Une bagatelle en tous points positive et autres récits. J’étais très heureux de contribuer ainsi à mieux faire connaître ce grand écrivain dont n’existait alors qu’un seul livre en français : L’Auto des Juifs, que j’avais traduit dix ans plus tôt pour les Éditeurs français réunis.
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La langue est aussi une mémoire et son exercice articule naturellement une continuité, où nos actes et notre présent s’inscrivent dans sa durée. Ce mouvement peut être violenté, perverti et même détruit par un régime assez totalitaire pour faire de la langue le langage de son idéologie. La langue maternelle de Christa Wolf a subi par deux fois cette agression dans une succession aussi lourde que contradictoire. Maintenant, avec le recul, on peut voir comment, à partir du milieu des années soixante, Christa Wolf réussit à ne pas trahir son écriture, donc sa langue, sans déserter son pays. Le choix de la résistance à l’intérieur plutôt que de l’exil est évidemment significatif : il s’est accompagné d’actes publics, mais surtout d’un engagement littéraire permanent, qui s’est traduit dans la forme et non dans les sujets. La prise de position ponctuelle, frappante dans l’immédiat, a beaucoup moins de portée que l’effet insidieux de la forme. Une phrase, citée par Alain Lance dans sa préface, peut servir d’indicateur : « Les murs qui nous encerclent se rapprochent. Mais il s’avère qu’en profondeur l’espace ne manque pas. »
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́J’admire, j’aime l’œuvre de Christa Wolf (je n’ai jamais vraiment su distinguer l’un de l’autre) pour une raison essentielle, qui tient en une phrase simple : parce que chez elle le fil de la conscience se confond avec le fil de l’écriture. C’est dire qu’il ne s’agit pas d’une conscience en surplomb, soit pratique, soit théorique, soit politique. Mais d’un mouvement de la pensée, qui naît de la rencontre violente du dedans (le moi, le sentiment, la vie privée) et du dehors (la politique, l’histoire). Le « dedans » n’a pas d’existence autonome ; il dépend le plus souvent du « dehors ». Mais le « dehors » n’a pas d’existence du tout, s’il n’est relayé et inscrit dans un « dedans » qui lui donne de la chair.
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Lire ou plutôt, relire en ayant à l’esprit qu’il faut choisir et croire avoir trouvé puis se dire, pourquoi ce passage plutôt qu’un autre ?
Il y a eu le début, les premiers mots, une solution de facilité sans doute mais pas seulement, comme la tonalité donnée, l’armature musicale de l’ensemble – le passé n’est pas mort – il n’est même pas passé. Il y a eu la maison retrouvée et ce numéro 5, numéro de la rue redoublé, un chiffre pour le passé, un chiffre pour l’avenir. Que retrouve-t-on vraiment ?
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C’était déjà le temps des roses. Tous les soirs en rentrant du travail, Lissy rapportait une rose, une longue rose rouge foncé, elle la mettait dans un joli vase, la posait sur le piano et vaquait ensuite à ses occupations. Chaque jour, une nouvelle rose, rouge foncé, sur une longue tige.
[...] À la maison on manquait de vases. Les regards des grands-parents en disaient long, mais n’expliquaient pas l’importance des roses. Il fallait emprunter des vases aux voisins. Les roses arrivaient, restaient, se fanaient.
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Traduction de Nicole Bary
Je ne peux pas me souvenir que nous ayons parlé ensemble de ce que nous voulions faire plus tard. Et je ne sais pas s’il avait des idées aussi précises que moi, en ce qui concerne l’écriture. Il voulait étudier les langues, moi la philosophie et les lettres. Quelqu’un que je connais, qui avait fréquenté le même séminaire de littérature que lui à l’Université libre de Berlin, me raconta, il y a quelques années, que notre ami ressemblait à un employé de la Caisse d’Épargne, s’exprimait peu, et ses interventions n’étaient pas particulièrement intéressantes, ce qui ne correspondait en rien à l’image, sans doute embellie par le temps, que j’avais conservée de lui.
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Traduction de Nicole Bary