Christoph Hein

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Romancier, auteur dramatique, essayiste, Christoph Hein a été un repère intellectuel et moral pour un grand nombre de ses concitoyens dès les premiers soubresauts qui secouèrent la RDA. Bien avant la chute du Mur, ses prises de parole publiques servirent de référant à la société est-allemande en pleine mutation, et elles n’ont cessé de l’être, dans l’Allemagne réunifiée. Par son œuvre et aussi par sa charge de premier président du PEN-Club allemand réunifié de 1999 à 2002, il a contribué au processus d’unification de deux sociétés que tout différenciait, voire opposait.

Curieux parcours que celui de cet écrivain né en 1944 en Silésie qui grandit en Thuringe et en Saxe, avant d’aller poursuivre ses études secondaires - illégalement - à Berlin-Ouest, car « l’Etat des paysans et des ouvriers », ainsi que se désignait elle-même la RDA, avait refusé à ce fils de pasteur de continuer ses études dans son pays. La construction du Mur, en 1961, sonna l’heure de son retour dans sa famille et dans son pays, qui dans sa logique aussi aveugle qu’implacable lui refusa l’autorisation d’entreprendre des études supérieures, arguant de son séjour illégal à Berlin-Ouest. Interdit d’études, le jeune Hein exerça différents emplois avant d’aller frapper à la porte de la Volksbühne et de Benno Besson. Car depuis son plus jeune âge, raconte-t-il, il nourrissait une violente passion pour le théâtre.

Benno Besson l’engagea ; il devint rapidement son assistant, puis son dramaturge, et l’auteur dramatique de la maison. La censure, elle, n’entendait pas les choses de cette oreille. Si plusieurs pièces de Hein furent mises en répétition, elles reçurent rarement l’autorisation d’être représentées, ou furent brusquement retirées de l’affiche peu après la première. Avec le départ de Benno Besson en 1979, sonna l’heure d’un nouveau départ pour Christoph Hein qui se consacra désormais essentiellement à l’écriture romanesque. Son premier recueil de nouvelles parut l’année suivante (Invitation au Lever Bourgeois). La même année, l’une de ses pièces (Lassalle fragt Herrn Herbert nach Sonja. Eine Szene im Salon) fut représentée avec succès en Allemagne fédérale, à Düsseldorf. La publication de L’Ami étranger, en 1982 en RDA, puis en 1984 en RFA, le propulsa sur le devant de la scène littéraire. Plusieurs prix littéraires lui furent décernés, tant à l’Est qu’à l’Ouest.

La reconnaissance que lui valut la publication de L’Ami étranger masqua au public les difficultés qui l’opposaient aux autorités de censure de son pays. La pomme de discorde était un autre roman, La fin de Horn ( 1985), interdit de publication, parce qu’il remettait en cause la vision officielle de l’histoire allemande en RDA. Hein, devenu alors pour les autorités « le cas Hein », dont il fallait se débarrasser au plus vite, subit de nombreuses pressions officielles pour l’inciter à quitter la RDA. « J’ai refusé», écrit-il,  « j’ai continué à écrire, chroniqueur attentif, sine ira et studio. » Dans ce pays verrouillé où aucun débat ne pouvait avoir lieu, Hein affirma haut et fort que la culture ne pouvait exister sans espace public, ni confrontation, ni dialogue. Ses œuvres dramatiques, et surtout romanesques - L’Ami étranger, La Fin de Horn, Le Joueur de Tango(1989) - ont précisément créé un espace de substitution pour aborder les sujets tabous.

Christoph Hein qui se définit lui-même comme un chroniqueur de son époque, compare volontiers son travail avec celui des chroniqueurs d’antan qui chaque jour consignaient par écrit les événements de la journée. Parfois, ils faisaient preuve d’un peu de courage et rapportaient même des événements dont le prince n’aurait pas souhaité conserver la trace. C’est dans cette perspective que se situe le travail de l’auteur pour qui la chronique est devenue une catégorie esthétique. Elle repose sur l’observation froide et distanciée de l’environnement socio-politique et permet, dit Hein, d’entrer en dialogue avec le lecteur. Il ne s’agit pas d’une conception néo-réaliste de l’écriture, mais bien plutôt, si l’on songe aux modèles aux quels l’auteur se réfère - Homère, Shakespeare, Kleist, Kafka - de l’invention d’un univers littéraire dans lequel le monde réellement existant se reflète. Hein récuse toute volonté moraliste ou pédago-éducative. Le lecteur est le partenaire de l’auteur, il a, lui aussi, son propre champ d’expériences et lorsqu’il aborde l’œuvre, un dialogue implicite s’établit.

Les thèmes récurrents sont le rapport de l’individu à l’histoire, à l’histoire allemande avec ses ruptures, le conflit des destins individuels aux prises avec l’appareil politico-social, quel que soit le régime, qu’il s’agisse de la RDA ou de l’Allemagne réunifiée, les rapports difficiles du pouvoir avec la vérité et la place de l’intellectuel dans la société.

Les œuvres écrites et publiées après 1989 (Le Jeu de Napoléon (1993), Depuis le tout début (1997, Willenbrock, Prise de territoire, Paula T. Une femme allemande) montrent à l’évidence que l’auteur n’a nullement modifié son credo esthétique. On retrouve le même travail du chroniqueur attentif, le même regard froid et impartial qui décèle le mal-être de la société et de ses contemporains, le même désir de remplir les pages que l’histoire a laissé vierges, le même besoin de pousser la mémoire jusque dans ses derniers retranchements pour que s’exprime enfin ce qui avait été omis, falsifié, refoulé.
NB

Bibliographie

Les romans de Christoph Hein sont publiés en allemand aux éditions Suhrkamp,

leurs traductions françaises aux éditions Métailié
(L’Ami étranger, La fin de Horn, Invitation au lever bourgeois et Le Joueur de tango ont été traduits par François Matthieu, les autres romans et nouvelles par Nicole Bary)

Extrait de texte paru dans le LITTERall No 14

tous droits reservés - Les Amis du Roi des Aulnes, Nicole Bary, 2012