Marcel Beyer

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Marcel Beyer est un transfuge. Né à Cologne en 1965, il vit à Dresde depuis 1996. « Je ne suis plus un Allemand de l’Ouest, dit-il, mais je ne suis pas devenu pour autant un Allemand de l’Est. Pris dans un entre-deux où je change en permanence de perspective, je ne peux plus revenir en arrière. » Ces changements de perspectives permanents se retrouvent dans ses romans, et ce goût de l’ambiguïté, de l’entre-deux, la description d’intermittences, non du cœur mais de l’Histoire ou de la pensée - de la littérature.

Même si Marcel Beyer n’est pas seulement romancier mais aussi auteur de nombreux essais, poèmes, et de nouvelles, c’est dans l’espace du roman que se déploie au mieux la subtilité de ses constructions narratives. Ses romans contiennent un sujet apparent et un sujet réel. Le sujet apparent se résume en quelques lignes. Dans Flughunde, le récit alterné d’un technicien du son et de la fille aînée de Goebbels, âgée de huit ans, retrace les derniers jours du Troisième Reich et notamment la vie dans le bunker, jusqu’au meurtre final des six enfants de Goebbels. Dans Spione, des jeunes gens d’une même famille se lancent à la recherche du passé de leur grand-mère récemment décédée. Dans Kaltenburg, un narrateur ornithologue sollicité par une interprète livre par bribes la carrière et la personnalité de Kaltenburg, zoologue réputé dont le passé est teinté de zones d’ombre. Au-delà d’une intrigue réduite à sa plus simple expression mais explorée dans tous ses méandres, il est question, à chaque fois, d’Histoire, et plus précisément de l’époque du nazisme – qu’elle soit abordée frontalement, comme dans Flughunde, qui se passe presque exclusivement durant cette période, ou par approches successives, pas forcément chronologiques, comme dans les deux autres romans. Marcel Beyer ne se contente pas de raconter ou d’évoquer le « passé allemand », comme on dit. Il creuse plutôt l’espace et les implications de cet angle mort, de ce mur auquel ne cesse de se heurter la génération née bien des années après, et dont il fait partie, qui n’est responsable de rien et porte pourtant la lourde charge d’un héritage difficile à assumer.L’onde de choc se répercute à travers un prisme – l’ornithologie dans Kaltenburg, la voix et les techniques d’enregistrements sonores dans Flughunde – qui, grâce à la précision érudite dont fait preuve Beyer, permet d’aborder l’Histoire à travers des aspects à la fois symboliques et méconnus, tissant des rapports souterrains entre le passé et la société contemporaine dans laquelle vivent, le plus souvent, ses personnages. Et puis, dans Kaltenburg, la ville de Dresde constitue autant que Kaltenburg ou le narrateur, un personnage dont les visages divers, Dresde bombardée ou théâtre de fêtes officielles, Dresde plus intime et le salon d’intellectuels dans les années cinquante, marquent les étapes de la transformation d’un pays, d’une société. La prégnance des lieux se lit dans les détours d’une écriture fine et délicate qui prend son temps,et donne à l’œuvre de Marcel Beyer une densité caractéristique.

Cécile Wajsbrot

Bibliographie

Les livres de Marcel Beyer sont essentiellement édités en Allemagne chez Suhrkamp.
Spione, 2010, Suhrkamp
Kaltenburg, 2009, Suhrkamp

En traduction française:
Voix de la nuit, 1997, traduit par François Mathieu, Calmann-Levy
Kaltenburg
, 2010, traduit par Cécile Wajsbrot, éditions Métailié

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